jeudi 10 juin 2010

Le développement moral de nos dirigeants

Comme ça, un code d’éthique va tout régler?

Déjà, j’ai de la misère avec l’expression «code d’éthique»: un oxymore. L’éthique est une aptitude, une technique, qui consiste à agir de façon juste ou bonne (selon votre goût) après une délibération, un examen des principes qui nous animent, des valeurs qui motivent cette action et des conséquences qui en découleront, tout en tenant compte du contexte. Jadis, on appelait ça la conscience. Donc, de ce point de vue, l’éthique s’avère tout le contraire d’un ensemble rigide de règles à suivre sous peine de sanction. D’ailleurs, en éthique, la seule punition est de continuer à vivre en paix avec ses décisions.

Comme ça, un code de déontologie (là, c’est mieux!) va tout régler?

Et si le problème était ailleurs? Après avoir observé attentivement la classe politique de n’importe quel niveau (municipal, provincial ou fédéral), nous devons nous rendre compte que nous avons élu plusieurs candidats éthiquement incompétents.

Le psychologue Lawrence Kolhberg a développé une théorie du développement moral. En gros, les individus, au long de leur vie, de l’enfance à l’âge adulte, passent par six stades correspondant à une réorganisation des structures du raisonnement, qui permettent de résoudre des dilemmes de plus en plus complexes. On évalue la compétence morale de l’individu non par le contenu, mais plutôt par le contenant, la forme du raisonnement. Ainsi l’on retrouve trois niveaux (préconventionnel, conventionnel et postconventionnel) qui regroupent chacun deux stades :



  1. stade de la punition et de l’obéissance;

  2. stade du projet instrumental individuel et de l’échange;

  3. stade des attentes interpersonnelles et mutuelles, des relations et de la conformité;

  4. stade du maintien de la conscience et du système social;

  5. stade du contrat social et des droits individuels;

  6. stade des principes universels.

L’évolution de chaque individu se traduit à la fois par une décentration, c’est-à-dire le passage d’un point de vue égocentrique à un autre plus général, et l’évolution de la structure des rapports entre les droits et les devoirs (réciprocité, équité, égalité).

Le problème, dans un monde dominé par l’économisme et où ses adeptes sont en pâmoison devant la rationalité bancale de l’«individualisme méthodologique» – le «fait», dérivé du principe d’utilité (rappelez-vous vos cours de philo), que, selon plusieurs économistes, chacun cherche à accroître son bien-être (peu importe ce que «bien-être» veuille dire) ou son compte de banque (on est sans doute plus près de la vérité…) –, c’est que nous finissons par élire une «élite» qui a plafonné au stades 1 et 2, stades de l’égocentrisme et l’individualisme qui, selon Kohlberg, sont réservés aux enfants et aux adolescents. Et qui se comportent comme tel.

De fait, une bonne partie de nos politiciens se révèle éthiquement incompétente, incapable de raisonner, de hiérarchiser ses valeurs avec l’objectif de servir le bien commun. D’où leur besoin d’un code avec des sanctions, qui seront sûrement minimes, afin surtout d’épater la galerie.

Les solutions? Retourner les nouveaux députés à l’école avant leurs mandats pour leur faire travailler le mental? Se garder une petite gène, aux prochaines élections, lors qu’on voudra voter pour des hommes ou des femmes d’affaires – nos chers «bâtisseurs» –, des anciens présidents de chambre de commerce, des économistes, des comptables, des gestionnaires ou des avocats? La faune habituelle, quoi! Peut-être s’attarder davantage à ceux qui ont des idées? Au moins mettre autant d’efforts à choisir nos représentants qu’à sortir quelqu’un du loft!

Comme ça, un code de déontologie va tout régler? Celui d’Enron avait 64 pages!

Petites lectures
Christian Arsperger et Philippe Van Parijs, Éthique économie et sociale, Paris, La Découverte (Repères, 300), 2003.
Will Kymlicka, Les théories de la justice. Une introduction, Paris, La Découverte (Poche, 159), 2003.
Michael J. Sandel, Justice, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2009.

Dans son Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Normand Baillargeon donne 31 stratégies pour entretenir une attitude critique par rapport aux médias, dont étudier la philosophie politique. Voici donc trois ouvrages faciles d’accès pour s’y initier. Le premier, franco-français, donne un survol rapide, en format Que sais-je?, de quatre théories : l’utilitarisme, le libertarisme (connu ici davantage sous l'appellation «libertarianisme»), le marxisme et l’égalitarisme libéral de John Rawls. Le deuxième, écrit par un philosophe canadien, a une approche plus près des préoccupations nord-américaines, analyse chaque théorie plus en profondeur et ajoute le communautarisme et le féminisme. Enfin, le troisième, malheureusement uniquement en anglais pour l’instant, s’avère le cours de philo politique de cégep idéal (clair, précis, avec des exemples concrets) et présente une vision plutôt communautarienne avec un retour à l’éthique des vertus d’Aristote.

2 commentaires:

  1. Brillant, mon cher!
    "Au moins mettre autant d’efforts à choisir nos représentants qu’à sortir quelqu’un du loft!" J'adore!

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  2. Merci pour tes propositions de lectures. J'ai fini de lire le livre de M. Baillargeon le mois dernier et j'ai trippé comme un enfant de première année qui apprend à écrire.

    Je compte bien le relire et assimiler le plus possible les techniques et exercices qu'il propose dans ce bouquin qui, à mon avis, devrait être carrément un court du secondaire.

    Se faire lâcher dans la jungle moderne sans un esprit critique c'est se lancer dans un bois sans boussole ni carte.

    Je vais venir te lire souvent. Très intéressant ce blogue. Bravo!

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