vendredi 10 août 2012

Et la proportionnelle, M. Duceppe?

Ma dulcinée et moi avons envoyé cette lettre aux médias la fin de semaine dernière.

Nous sommes souverainistes. Aux dernières élections fédérales, nous avons voté pour le NPD. D’une part, parce que, comme progressistes, le discours souverainiste traditionnel, dénué de toute valeur de justice et d’équité, nous déçoit. D’autre part, nous craignions l’hécatombe de l’élection du Parti conservateur et des dommages irréparables qu’allaient causer ces idéologues réactionnaires aux institutions, donc à la démocratie.

Nous avons voté stratégiquement parce que choisir le Bloc signifiait inévitablement reporter les conservateurs au pouvoir, ce que notre conscience ne pouvait accepter, alors que le NPD nous laissait un mince espoir que nos voisins du ROC allument et fassent la même chose que nous. Pour ce qui est des arrogants libéraux fédéraux, ils n’ont qu’à s’excuser du scandale des commandites. Certains recommenceront peut-être à les prendre aux sérieux.

Bref, M. Duceppe, si vous ressentez l’irrépressible besoin de trouver un bouc-émissaire pour justifier la disparition du Bloc, épargnez M. Khadir et méditez plutôt sur ce qui suit.

Premièrement, avouez que, malgré le bon travail de vos collègues à Ottawa, vous devez conclure à l’échec du Bloc, car le Québec n’est toujours pas souverain. Réélire, depuis 20 ans, les candidats bloquistes était devenu un automatisme, une mauvaise habitude, celle de reporter au pouvoir des députés de carrière, sans trop s’interroger.

Deuxièmement, vous devriez plutôt blâmer notre mode de scrutin qui fait que, pour combattre un mal, les électeurs sont appelés à se résigner en votant pour un moindre bien. Nous souhaitons que vous interpelliez votre amie Mme Marois afin que le PQ remette, dans son programme électoral, l’engagement – pas la promesse, l’engagement – d’instaurer une forme de scrutin proportionnel.

Ainsi, les votes de tous les citoyens et citoyennes auront une valeur. Et peut-être que, comme vous le souhaitez, pour la dernière fois de notre histoire, la population votera de façon stratégique le 4 septembre prochain pour se débarrasser des libéraux de Charest et contrer la CAQ. Elle décidera peut-être de voter pour le PQ.

En juin dernier, vous avez rejeté l’idée d’une alliance électorale souverainiste. Vous agissez comme si le PQ était propriétaire du projet souverainiste. Le PQ n’aurait à faire aucun compromis pour montrer sa bonne foi? Et ensuite accuser les autres de diviser le vote?

Pour notre part, nous voterons selon nos convictions, c’est-à-dire pour Québec solidaire. Nous pensons que plusieurs feront comme nous. Mais si le PQ s’engageait à instaurer un scrutin proportionnel, nous comprendrions mieux qu’il appelle à un vote stratégique en sa faveur.

Dans quatre ou cinq ans, au prochain scrutin provincial ou, qui sait, au premier de ce nouveau pays, chaque vote compterait et si, d’ici là, les péquistes n’avaient pas réussi à remettre l’équité au goût du jour, ils auraient au moins le mérite de nous avoir donné un système électoral plus juste.

 Louis Fiset et Marie-Josée Dufour, membres de Québec solidaire dans Taschereau

lundi 28 mai 2012

Lettre au Journal de Québec

Québec, le 25 mai 2012

Dimanche soir dernier, ma conjointe et moi, au retour d’un spectacle de fin d’année d’une école de danse vers notre demeure, étions arrêtés sur la rue Saint-Jean. Cette arrestation s’est avérée un abus de pouvoir flagrant, car ma compagne n’a pas reçu de contravention et, sur la mienne, l’accusation passe-partout 500.1 est erronée. Nous avons cru faire œuvre utile en acceptant de raconter notre histoire à un journaliste du Journal de Québec afin de démonter les dangers de lois floues appliquées au gré d’une force policière qu’on laisse improviser.

La parution de cet article a provoqué plusieurs commentaires d’anonymes gérants d’estrade qui sévissent régulièrement sur Internet, sans doute pour oublier une vie ennuyeuse, sans intérêt ou infiniment triste. Ces éructations prennent souvent la forme de propos injurieux, diffamatoires voire haineux de la part de lâches incapables d’assumer leurs opinions, donc de les signer. Si ma conjointe et moi avons trouvé cela plutôt rigolo, nos familles et nos proches ont été atterrés de la violence de certains propos de ces collabos – le terme est fort, mais assez juste.

C’est pourquoi nous demandons aux sites Internet de Canoë et du Journal de Québec d’au moins cesser de publier les commentaires anonymes et, au mieux, de concevoir un dispositif, comme celui de l’Assemblée nationale, par exemple, lors de la signature de pétitions, grâce auquel on peut s’assurer des identités des personnes. Nous sommes en faveur des débats à condition qu’ils soient civilisés.

 Cordialement.

 Louis Fiset

vendredi 2 décembre 2011

Réflexion rapide philosophico-économique sur le mal de vivre

Aujourd’hui, la valeur des individus est réduite à cette capacité de faire rouler l’économie. Ainsi, le marché devient le modèle des rapports humains et la norme première, l’intérêt que chacun porte à lui-même: «[l]’aspiration au bien-être matériel est donnée comme la seule destinée humaine concevable, l’homme lui-même est présenté comme l’inlassable chercheur de son avantage personnel maximal dans toutes les circonstances de son existence, et il n’y a pas de domaine de cette existence qui ne puisse être le terrain d’une visée maximisatrice d’une satisfaction individuelle» (Christian Laval, L’Homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Paris, Gallimard (NRF Essais), 2007, p. 10).

Dorénavant, la société se compose d’individus qui revendiquent le droit primordial d’obéir à leurs propres intérêts, et ce, avant l’intérêt collectif. De sujet, chacun devient un objet, une ressource dont la principale qualité est d’être utile, et la société, un groupe uni essentiellement par l’utilité mutuelle qu’entretiennent ses membres: «[l]’illimitation productive et marchande débouche sur une nouvelle clôture du monde, produit une réduction générale des humains et de leurs activités à des objets dont la valeur – et, partant, leur droit à l’existence – ne dépend que de leur utilité économique. Le règne des quantités auxquelles nous sommes assignés se confond avec l’idée dominante du bonheur humain maximal» (Ibid., p. 11).

Par conséquent, que vaut la vie lorsqu’on ne porte pas la griffe de vêtements à la mode, lorsqu’on ne possède pas le téléphone portable dernier cri, le nec plus ultra des tablettes numériques, le bungalow dans le tout nouveau développement du coin, l’auto de l’année dans son entrée en asphalte reluisante?

Petite lecture 
Robert Rowland Smith, Petit Déjeuner avec Socrate. Une philosophie de la vie quotidienne, Paris, Seuil, 2011.

J’ai eu le bonheur d’étudier la philosophie et, plus récemment, l’éthique appliquée et la philosophie politique. La philo offre une perspective fondamentale sur la réalité, et ce, même sur les tracas les plus quotidiens. D’ailleurs, je crois que plusieurs personnes qui s’imaginent avoir des problèmes psychologiques ont en réalité des interrogations philosophiques. Robert Rowland Smith, dans Petit Déjeuner avec Socrate, nous fait revivre nos banales journées en empruntant les regards des plus grands philosophes: le réveil ou qu’est ce que la réalité? avec Descartes, le magasinage ou le narcissisme avec Freud et Lacan, l’entraînement physique ou la mort avec Heidegger, l’hygiène avec Archimède (évidemment!)…

mardi 2 août 2011

Des sables doubleplus éthiques

«Freedom is the freedom to say that two plus two make four. If that is granted, all else follows.» George Orwell, Nineteen Eighty-Four, New York, Penguin, 1984, p. 73.

Comme ça, c’est vraiment vrai: notre huile est éthique?

L’importance de l’écrivain George Orwell est indéniable: même des individus de droite se réclament de lui, qui était plutôt socialiste. Je crois même qu’il est impossible de bien comprendre la politique contemporaine sans avoir lu 1984 et La Ferme des animaux de George Orwell. Mais plus particulièrement, et surtout depuis la chute du communisme, 1984, qui fait étalage de stratégies afin de maintenir un État totalitaire et de s’assurer de la soumission des citoyens : désinformation, révisionnisme historique, destruction du langage – grâce à la «novlangue» –, donc de la raison. D’où les trois maximes de l’Angsoc, le parti au pouvoir en Océania, l’un des trois grands blocs politiques en 1984 avec les un jour ennemis, un jour alliés Eurasia et Estasia: «la guerre, c’est la paix», «la liberté, c’est l’esclavage», «l’ignorance, c’est la force».

Aujourd’hui, nous sommes encore loin de l’univers décrit par Orwell. Néanmoins, il arrive qu’au nom d’une idéologie, on ait tendance à nier la réalité. Prenez le cas des fétichistes de la liberté – entendons bien «de commerce» – et de l’économie sans régulation. D’une part, les théories économiques sur lesquelles ils s’appuient ont comme principe l’homo economicus, un individu rationnel qui sait ordonner ses préférences, maximiser son utilité et, surtout, analyser et anticiper le mieux possible la situation et les événements du monde qui l'entoure afin de prendre les décisions qui permettent cette maximisation. Bref, il doit être drôlement renseigné!

D’autre part, depuis les années 1960, des organismes libertariens, par l’entremise de scientifiques certes renommés, mettent moult efforts afin de combattre les découvertes scientifiques qui, selon eux, mettent en danger la liberté – encore une fois, entendons «de commerce». Passent à tabac la recherche scientifique sur les dangers de la cigarette, de la destruction de la couche d’ozone, des pluies acides, de la fumée secondaire, etc. Les écologistes sont devenus les nouveaux communistes, des «melons»: verts à l’extérieur et rouges à l’intérieur.

Pour discréditer ces recherches, ces négationnistes ne procèdent pas par une démarche scientifique habituelle qui se conclut généralement par la publication dans une revue spécialisée indépendante après une révision de l’article par des pairs. Ils utilisent plutôt des moyens détournés: articles ou éditoriaux dans des journaux, conférences devant des partisans, blogues ou carnets en ligne, etc. Bref, ils ne s’exposent jamais à la critique des scientifiques qui mettraient en évidence les failles de leur argumentation, leur incompréhension des données, voire l’absence d’expérimentations de leur crû ou leur mauvaise foi. L’esprit critique dont se vantent plusieurs droitistes est ici à sens unique: on doute de la recherche ou, mieux, de la science même, et on fait une confiance aveugle aux clercs de l’économisme qui croient que si la science ne peut régler leurs problèmes, on n’a qu’à en rejeter ses principes.

Les droitistes font aussi dans la novlangue. En effet, depuis peu, au Canada, nous avons du pétrole «éthique»: nos sables bitumineux – car si ce sont nos Montagnes rocheuses, ce sont aussi nos sables bitumineux (ce qui nous enlève beaucoup de culpabilité liée à la péréquation) – sont «éthiques» car, contrairement au pétrole qui provient des pays musulmans, qui briment les droits fondamentaux de leurs ouailles, celui que les Albertains, de plus en plus aidés par les éthiques Chinois, tirent de leurs tar sands – qui sont entre-temps devenus des oil sands, plus propres – est libre, démocratique et féministe.

Le mot «éthique» est malheureusement le nouvel ajout dans le dictionnaire de la novlangue droitiste. Notre pétrole est éthique même s’il est sale et non renouvelable, même s’il détruit l’écosystème et si ses bailleurs de fonds nient cette liberté si chère à nos citoyens. Récapitulons: les écologistes se révèlent les nouveaux communistes et les anciens communistes s’avèrent éthiques parce qu’ils nous donnent de l’argent pour développer du pétrole sale mais plus propre que celui des étranges. Et l’Océania a toujours été en guerre avec l’Eurasia… Ou l’Estasia?

Petits liens

Un collègue de travail, émule de Jacques Brassard, vous fait suer lors de chaque tempête de neige, parce que, pour lui, il s’agit d’une preuve indéniable que les changements climatiques sont un mythe? Défendez-vous! Le site Internet Skeptical Science détruit 165 arguments de ces négationnistes. De plus, il offre un petit guide scientifique sur le climato-scepticisme, en français. Selon eux: «L'affirmation que les humains provoquent le réchauffement climatique global est basée sur de nombreux faisceaux de preuves indépendants. Le climato-scepticisme se focalise souvent sur des simples pièces du puzzle en réfutant le tableau complet des preuves. Notre climat change. Nous en sommes les principaux responsables en raison de nos émissions de gaz à effet de serre. Les faits à propos du changement climatique sont essentiels pour comprendre le monde qui nous entoure, et faire des choix éclairés concernant notre avenir».

Petite lecture
Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Merchants of Doubt. How a Handful of Scientits Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming, New York, Bloomsbury Press, 2010.

Les marchands de doute se nomment, entre autres, Fred Seitz, Fred Singer et Will Nierenberg. Ils sont scientifiques, surtout physiciens, et ont connu la Guerre froide, travaillé avec des organismes du gouvernement américain, tels que le NASA, et collaboré avec des think-tanks de droite tels que les Marshall ou Cato Institutes. Leurs objectifs: combattre le consensus scientifique sur tout ce qui menace les idéologies conservatrices ou libertariennes américaines. J’ai donné des exemples plus haut : ils ont lutté aux côtés des tabagistes, des industries polluantes contre les mouvements écologistes dans le cas des pluies acides, par exemple, ont soutenu Reagan et son projet Star Wars même si tous les scientifiques connaissaient son inutilité, et ont même remis le DDT à la mode récemment, malgré les résistances accrues des insectes. Ils montent aux barricades afin de faire de l’obstruction lorsque le gouvernement souhaite réguler une industrie en particulier, sans, de leur coté, avoir recours à la science. En effet, ils ne font que très peu de recherche. Dans notre univers où il y a toujours deux côtés valables à une médaille et que l’information se doit d’être équilibrée – si 1000 scientifiques croient aux changements climatiques et quatre les nient, on assistera toujours à des débats un contre un –, et non objective, ils remportent un bon succès à retarder les réglementations. En revanche, les marchands de doute finissent par perdre, car la réalité, sur laquelle s’appuie la science, finit par l’emporter, même si les problématiques ont empiré et que ces réglementations deviennent, malheureusement, nécessaires.

Un site Internet est également consacré à Merchants of Doubt.

vendredi 15 avril 2011

Une gauche adroite (Wow! Quel jeu de mots!)

J’ai plusieurs points communs avec Pierre Céré, auteur d’Une gauche possible. Changement social et espace démocratique (Montréal, Liber, 2010). Nous venons tous deux de milieux populaires : Céré inhalait la poussière des mines de Rouyn-Noranda ; moi, je humais les parfums de tabac de la Rock City ou de souffre de l’Anglo et j’oyais les douces mélodies du train qui passait de l’autre côté de la rue Prince-Édouard, dans la paroisse Saint-Roch, à Québec. Au secondaire, nous avons tous deux fréquenté l’école privée, subissant parfois les sarcasmes de gosses de riches. Plus tard, nos parcours se sont séparés: alors que je révolutionnais tranquillement à l’université et que j’allongeais mon adolescence, il quittait pour l’Amérique latine faire la révolution, la vraie.



Certes, les propositions de Céré risquent de faire frémir ses anciens compagnons de combat et plusieurs souverainistes purs et durs (qui, à mon avis, portent trop souvent à droite). Il prend une position plus pragmatique. Mais la justice, l’équité et la solidarité demeurent. L’auteur souhaite plus de transparence et de démocratie – particulièrement avec l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel évolutif – et moins de dogmes – le projet révolutionnaire classique de gauche étant un échec. Puis, entre autres, il faut développer le transport en commun et la médecine de proximité, instaurer des tarifs d’électricité plus équitables en faisant payer davantage les plus grands consommateurs, etc.

Un dialogue possible ?

Comme Céré, je crois qu’un État plus juste soit possible au Québec. Mais il faut avouer que les choses se sont drôlement bien améliorées depuis 40 ans. Les effets conjoints du capitalisme – je n’utiliserai jamais l’expression «économie de marché» trop politically correct – et de l’État providence. Seuls des idiots veulent revenir au Québec des années 1950.

Peu importe l’issue, il faut absolument se débarrasser de la question nationale qui ne fait qu’ajouter du poids mort dans nos débats.

Puis il faut dialoguer. Pour ce faire, la gauche doit s’affranchir de son lyrisme et de certains de ses dogmes qui, historiquement, n’ont pas donné les résultats les plus heureux.

La droite québécoise, quant à elle, doit arrêter de se calquer sur sa grande sœur américaine, stérile, ignorante, hypocrite et de mauvaise foi. Ce n’est pas en s’alliant avec des fondamentalistes et des créationnistes, en promouvant des idéologies bourgeoises qui mènent à des ploutocraties ou en niant la science que les droitistes montrent qu’ils ont une pensée plus rigoureuse que les autres. De plus, ils se comportent trop souvent comme Statler et Waldorf, les deux vieux qui squattent le balcon du Muppet Show, et qui ne font que verser leur fiel sur le spectacle sans jamais rien apporter de neuf, de constructif ou d’utile.

Petite lecture
Catherine Audard, Qu’est-ce que le libéralisme? Éthique, politique, société, Paris, Gallimard (Folio essais, 524), 2009.

Les prochaines élections nous incitent à bien discerner les différentes valeurs qui sont sous-entendues dans les divers discours politiques. Mais surtout, elles nous invitent à analyser les déclinaisons du libéralisme. Car tous les partis politiques en place en proposent une version. (Ceux qui voient du socialisme dans cette campagne électorale, voire dans la politique canadienne, ont sérieusement besoin de lunettes ou d’yeux neufs.) Dans son ouvrage, Catherine Audard traite autant des origines du libéralisme (Hume, Mill, Smith et consort) que de ses versions contemporaines (libertarianisme, libéralisme égalitaire rawlsien, communautarisme, etc.) et des défis auxquels il doit faire face aujourd’hui, dont les revendications des minorités. Elle s’attarde même sur la Commission Bouchard-Taylor et l’originalité de ce débat qui fait du Québec une démocratie assez sexy. Il n’est pas nécessaire de l’avoir lu pour voter. Mais vous ne pouvez voter en toute conscience sans l’avoir lu. Faites vite: l’ouvrage a environ 1 000 pages et les élections sont le 2 mai.

mercredi 27 octobre 2010

La liberté totale pour les loups est la mort des agneaux

Both liberty and equality are among the primary goals pursued by human beings throughout many centuries; but total liberty for wolves is death to the lambs, total liberty of the powerful, the gifted, is not compatible with the rights to a decent existence of the weak and the less gifted.
Isaiah Berlin, The Crooked Timber of Humanity. Chapters in the History of Ideas, Princeton, Princeton University Press, p. 12.

Samedi dernier, à une demi-heure du centre-ville de Québec, eut lieu l’événement le plus important de l’histoire de la province, voire de l’humanité. Non, il ne s’agit pas de la naissance des jumeaux de Céline, Mutt et Jeff Dion-Angelil, mais bien du rassemblement de ce nouveau mouvement d’extrême droite – sinon, comment expliquer cette perle de leur chef honoraire, Jeff Fillion: «Je ne me considère pas comme un lucide, loin de là. Pour moi, les lucides, c'est le même système, c'est la même valorisation de l'État providence. [...] Le manque de culture au niveau gauche-droite [sic] est évident quand on pense que Joseph Facal et François Legault sont de droite»; bref, si, dans son univers, tout le monde est à sa gauche, c’est qu’il est d’extrême droite, c’est logique et géométrique! –, le Réseau Liberté-Québec (RLQ). Pour ceux comme Jeff qui éprouvent de la difficulté à différencier leur droite de leur gauche, voici deux suggestions de lectures ici et ici.

Environ 450 personnes, surtout des mâles en colère, des ex-ixes ou des adéquistes meurtris – en traitant de l’échec de l’autonomisme, Maxime Bernier avait bien ciblé son public –, ont écouté les allocutions de rhéteurs soit provocants, soit étonnants ou encore complètement stupides. Ezra Levant, futur Glenn Beck de Fox News North, trouve les sables bitumineux plus éthiques que le pétrole des musulmans. Gérard Deltell, un historien, salue la richesse, tout en oubliant qu’elle s’est souvent accumulée au dépens de travailleurs mal ou non payés (par exemple, les Américains et l’esclavage) et qu’elle se transmet généralement de génération en génération – selon Fortune, 75% des fortunes s’acquièrent par héritage et non par la sueur de son front –, et décrie les syndicats qui, par leurs revendications, ont fortement contribué à l’éclosion de la classe moyenne. Puis Jacques Brassard, un climato-sceptique, qui démontre sa belle ignorance et fera l’objet d’un prochain billet. Somme toute, la célébration des «40 années d’égarement de l’État québécois» par ces jeunesses libertariennes – la moyenne d’âge était dans la trentaine – contenait tous les ingrédients pour une merveilleuse bouillabaisse droitiste narcissique: dans un chaudron en amnésie (volontaire?) et en soumission à un ordre économique transcendant, on mélange une part d’éloge de la richesse, un quart de pensée magique, une tasse de jalousie des syndiqués, une bolée de colère noire, une généreuse portion d’ignorance saupoudrée de mauvaise foi, une pincée d’autoritarisme, et nul besoin d’assaisonner de vision ni de nuances.

Les grands perdants de cette aventure s’avèrent ses nombreux adeptes – on a dû en refuser! – qui votent contre leurs intérêts, car dans le darwinisme social sous-entendu du libertarianisme du RLQ, ils ne se tiennent malheureusement pas en haut de l’échelle. Avec une telle droite au pouvoir, les syndiqués conserveront leurs droits protégés par des lois et des chartes, les universitaires et les plus éduqués auront toujours des conditions salariales avantageuses et des avantages sociaux qu’ils pourront s’offrir, et les pauvres recevront de l’aide si ce n’est que pour stabiliser l’ordre public. Les victimes seront les gagne-petit, dispensables, non syndiqués, sans avantages sociaux, anonymes et interchangeables: une bonne partie de la clientèle du RLQ. Car les disciples du profit ne s’intéressent pas à ceux qui ne peuvent pas leur en procurer: les agneaux.

Petit visionnement

Michael Sandel, professeur de Harvard et auteur de Justice, ouvrage dont j’ai parlé il y a quelque temps, est un pédagogue hors pair et son cours est l’un des plus courus de cette illustre université: 14 000 étudiants l’ont suivi. Nous sommes chanceux, car ce cours de philosophie politique est disponible tout à fait gratuitement sur Internet ici. Je le conseille à tous, mais plus particulièrement à mes amis du Réseau Liberté-Québec.

mardi 5 octobre 2010

32 questions brèves sur la religion

La semaine dernière, un sondage mené aux États-Unis par le Pew Forum on Religion and Public Life a montré que les croyants s’y connaissaient moins en religion que les athées. En moyenne, les sondés ont répondu correctement à 16 des 32 questions et les résultats se déclinent comme suit: les athées et les agnostiques ont eu 20,9, les Juifs, 20,5, les Mormons, 20,3, les Protestants, 16, et les Catholiques, 14,7. Les résultats ne doivent pas être très différents au Québec. Quant à moi, j’ai eu 27/32. J’ai des petites lacunes en Hindouisme et en Bouddhisme, et en histoire américaine. Les questions sont ici.

Pourquoi les athées ont-ils eu de meilleurs résultats que les croyants? Il semblerait que le niveau d’éducation des premiers ait été supérieur à celui des seconds, du moins dans l’échantillon. Ce qui ne veut pas dire que la connaissance rend athée! Ça signifie plutôt que l’éducation réduit l’ignorance.

Je suis athée et j’ai apostasié. L’expression «catholique non pratiquant» cachait trop d’hypocrisie à mon goût. Je ne crois pas en Dieu et n’ai pas besoin d’un préfet de discipline, qui verrait tout ce que nous faisons et qui nous ferait des reproches à la fin de nos jours, pour mener une vie bonne. De plus, il n’y a pas de preuve scientifique de l’existence de Dieu, car il se situe hors du champ de l’expérience. C’est pourquoi il y a la foi. Et le pari de Pascal, très peu pour moi: je ne suis pas gambler!

Néanmoins, la religion, que nous le veuillons ou non, fait partie de l’identité de chacun – il est impossible de comprendre l’individu sans connaître sa culture, donc ses récits mythiques, ses croyances et ses coutumes – et plusieurs ont besoin de croire pour être heureux. C’est pourquoi je suis partisan du cours Éthique et culture religieuse. Enfin, il y a des mauvais enseignants partout et la population n’a jamais remis en question les programmes de mathématiques ou de géographie. Pourquoi tant d’acharnement sur le cours ÉCR? Parce qu’il rend l’individu libre de suivre la voie qu’il souhaite, nonobstant les objections de fondamentalistes, religieux ou non, qui voudraient nous imposer leurs croyances.

Jésus philosophe?

Récemment, je me suis interrogé sur la distance entre le message original de Jésus et celui de l’Église. (Un remerciement spécial à Mgr Ouellet!) Il me semblait que plusieurs haut-parleurs de la doctrine officielle romaine trahissaient souvent l’enseignement du Christ qui, rappelons-nous, se résume dans une seule formule: «Aimez-vous les uns les autres».

Dans Le Christ philosophe (Paris, Seuil, 2009), Frédéric Lenoir revisite l’histoire du christianisme des origines à aujourd’hui et souligne la modernité du message du Christ qui prône l’égalité, la liberté individuelle, l’émancipation de la femme, la justice sociale et la séparation de l’Église et de l’État. Bref, des valeurs qui ont été occultées par Rome, qui a confondu les pouvoirs politiques et religieux, durant plus d’un millénaire. Ces valeurs ont refait surface à la Renaissance, en réaction aux abus du clergé. La modernité serait donc née en réaction contre l’Église en puisant sa source dans l’éthique de Jésus.

D’un côté plus spirituel, Jésus, selon Lenoir, favoriserait une pratique intérieure qui ne rendrait indispensable aucune médiation humaine, voire aucune institution, comme il le laisse entendre dans cette parabole du Jugement dernier:

Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux de droite: “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir.” Alors les justes lui répondront: “Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir?” Et le Roi leur fera cette réponse: “En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.”» (Matthieu 25:31-40)

En effet, l’essentiel est là! Et peu importe que je sois athée et apostat, je risque quand même d’aller au paradis!

Petites lectures
Charles P. Pierce, Idiot America. How Stupidity became a virtue in the land of the free, New York, Doubleday, 2009.
Markos Moulitsas, American Taliban. How War, Sex, Sin, and Power Bind Jihadists and the Radical Right, San Francisco, Polipoint Press, 2010.

Les Américains sont fascinants. D’une part, ils ont créé l’une des sociétés les plus avancées au monde. D’autre part, ils sont capables de tomber dans la bêtise la plus abyssale. Pierce, dans American Idiot, parle de la guerre à l’expertise qui sévit aux États-Unis, surtout pour des raisons économiques et politiques, et dont l’objectif est d’éliminer cette idée folle que la connaissance est bonne pour établir celle que nous ne devrions écouter que ceux qui en savent le moins. Car, n’oublions pas, les experts font partie de la diabolique élite! L’avis du pasteur d’une église obscure sur la théorie de l’évolution vaut amplement celle du docteur en biologie moléculaire! Pourquoi élire quelqu’un d’intelligent alors qu’on peu choisir celui avec qui on irait prendre une bière? Pourquoi le consensus de milliers de climatologues sur le réchauffement climatique aurait-il plus de poids que celui d’une dizaine de «scientifiques» qui confondent climat et météo et qui se consacrent à attaquer le messager plutôt qu’à trouver les failles dans la rigueur du message? Bref, trois principes animent cette Amérique des idiots:

  • toute théorie est valide si elle vend assez de livres ou dope les cotes d’écoute, bref si elle est rentable; 
  • est vraie toute chose qu’on a dite assez fort; 
  • et un fait est une chose qui est crue par suffisamment d’individus, la vérité étant déterminée par la ferveur des croyants. 
Si nous nous fions à ce que nous lisons ou écoutons au Québec, nous devons admettre que l’idiotie américaine est contagieuse.

Dans un même ordre d’idées, mais un registre plus baveux, Moulitsas trace des liens entre les valeurs de la droite américaine et celle des Talibans: le moralisme omniprésent, l’objectif d’établir d’une théocratie, le recours à la torture, le besoin de toujours déclarer la guerre à quelqu’un, la censure, la misogynie et la servitude de la femme, l’effritement des libertés, etc. C’est un peu charrié, mais franchement rigolo!