lundi 21 juin 2010

La sélection des juges

Contrairement à certains commentateurs, je ne suis pas très surpris de la décision du juge Gérard Dugré, nommé en 2009, dans la cause portée par le Loyola High School qui souhaite enseigner le cours d’Éthique et culture religieuse (ÉCR) dans une perspective religieuse. D’une part, nous avons un système scolaire à deux vitesses qui permet la confessionnalité des écoles privées. D’autre part, la Loi constitutionnelle de 1982 s’amorce comme suit: «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit». (En 1982, alors que Pierre Elliott Trudeau rédigeait la Charte canadienne des droits et libertés, des conservateurs évangélistes ont fait pression afin d’ajouter au texte cette référence à Dieu.) Même si l’article 2 de la constitution assure la liberté de conscience et de religion, il était pour moi évident que des opposants au cours ÉCR allait invoquer le préambule et, peut être, tomber sur un juge qui leur donnerait raison.

Le plus déconcertant dans la décision de Dugré, ce sont certains de ses commentaires sur le cours ÉCR qui démontrent, une fois de plus, à quel point les juges sont souvent mal formés pour la tâche qui leur incombe. Heureusement que, dans le cas du cours ÉCR, restent la cour d’appel et la cour suprême. Par contre, on y retrouvera encore des juges…

Dans son jugement, Dugré affirme que le programme de Loyola est comparable à celui du ministère de l’Éducation (MELS). Pourtant, alors que l’objectif du premier est de transmettre et de promouvoir la foi catholique, ceux du second sont «d'explorer, selon son âge, différentes manifestations du patrimoine religieux québécois présentes dans son environnement immédiat ou éloigné; de connaître des éléments d'autres traditions religieuses présentes au Québec; de s'épanouir dans une société où se côtoient plusieurs valeurs et croyances; de s'épanouir dans une société où se côtoient plusieurs valeurs et croyances».

De plus, le juge dit qu’on devrait permettre à l’école Loyola d’enseigner toutes les matières selon l’approche confessionnelle. Ainsi, il vient d’ouvrir la porte, par exemple, à l’enseignement du créationnisme dans les cours de biologie. Puis si une religion croit que les maths ont été créées par Satan, on s’en passera.

Enfin, il affirme que l’obligation imposée par le MELS d’enseigner l'ÉCR de façon laïque «revêt un caractère totalitaire qui équivaut à l’ordre donné à Galilée par l’Inquisition de renier la cosmologie de Copernic». L’inquisition ordonnait à Galilée de renier la science de la même manière que le juge Dugré permet à l’école Loyola de renier l’approche scientifique du cours ÉCR au nom de principes religieux.

Iriez-vous faire soigner vos dents chez un mécanicien? Vous faire coiffer chez un actuaire? Pourtant, dans cette cause, on a demandé à un juge spécialisé en fiscalité de se prononcer sur des questions de lois, certes, mais aussi d’enseignement, de religion et de philosophie politique. Et il s’est planté! Aujourd’hui, la connaissance du droit ne suffit plus pour devenir juge. La société s’avère complexe et exige que ceux qui rendent justice la décodent et la comprennent. Il est peut-être temps de libérer la justice des seules mains des avocats.

Petite lecture
Georges Leroux, Éthique et culture religieuse. Dialogue. Arguments pour un programme, Montréal, Fides, 2007.

Le débat sur le cours ÉCR étant loin d’être terminé, je vous invite à lire Leroux, l’un des instigateurs de cette formation. «La laïcité, écrit-il, signifie non pas refus du religieux ou de la conviction, mais accueil de la différence dans un monde de respect et de droit». L’école est le lieu privilégié pour que les élèves acquièrent cette culture religieuse, la capacité de comprendre les croyances et les symboles qui structurent le rapport au monde des autres, et développent leur rationalité éthique, leur aptitude à délibérer. Un parti-pris pour la connaissance et la pensée critique : on est loin de l’endoctrinement…

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