mercredi 27 octobre 2010

La liberté totale pour les loups est la mort des agneaux

Both liberty and equality are among the primary goals pursued by human beings throughout many centuries; but total liberty for wolves is death to the lambs, total liberty of the powerful, the gifted, is not compatible with the rights to a decent existence of the weak and the less gifted.
Isaiah Berlin, The Crooked Timber of Humanity. Chapters in the History of Ideas, Princeton, Princeton University Press, p. 12.

Samedi dernier, à une demi-heure du centre-ville de Québec, eut lieu l’événement le plus important de l’histoire de la province, voire de l’humanité. Non, il ne s’agit pas de la naissance des jumeaux de Céline, Mutt et Jeff Dion-Angelil, mais bien du rassemblement de ce nouveau mouvement d’extrême droite – sinon, comment expliquer cette perle de leur chef honoraire, Jeff Fillion: «Je ne me considère pas comme un lucide, loin de là. Pour moi, les lucides, c'est le même système, c'est la même valorisation de l'État providence. [...] Le manque de culture au niveau gauche-droite [sic] est évident quand on pense que Joseph Facal et François Legault sont de droite»; bref, si, dans son univers, tout le monde est à sa gauche, c’est qu’il est d’extrême droite, c’est logique et géométrique! –, le Réseau Liberté-Québec (RLQ). Pour ceux comme Jeff qui éprouvent de la difficulté à différencier leur droite de leur gauche, voici deux suggestions de lectures ici et ici.

Environ 450 personnes, surtout des mâles en colère, des ex-ixes ou des adéquistes meurtris – en traitant de l’échec de l’autonomisme, Maxime Bernier avait bien ciblé son public –, ont écouté les allocutions de rhéteurs soit provocants, soit étonnants ou encore complètement stupides. Ezra Levant, futur Glenn Beck de Fox News North, trouve les sables bitumineux plus éthiques que le pétrole des musulmans. Gérard Deltell, un historien, salue la richesse, tout en oubliant qu’elle s’est souvent accumulée au dépens de travailleurs mal ou non payés (par exemple, les Américains et l’esclavage) et qu’elle se transmet généralement de génération en génération – selon Fortune, 75% des fortunes s’acquièrent par héritage et non par la sueur de son front –, et décrie les syndicats qui, par leurs revendications, ont fortement contribué à l’éclosion de la classe moyenne. Puis Jacques Brassard, un climato-sceptique, qui démontre sa belle ignorance et fera l’objet d’un prochain billet. Somme toute, la célébration des «40 années d’égarement de l’État québécois» par ces jeunesses libertariennes – la moyenne d’âge était dans la trentaine – contenait tous les ingrédients pour une merveilleuse bouillabaisse droitiste narcissique: dans un chaudron en amnésie (volontaire?) et en soumission à un ordre économique transcendant, on mélange une part d’éloge de la richesse, un quart de pensée magique, une tasse de jalousie des syndiqués, une bolée de colère noire, une généreuse portion d’ignorance saupoudrée de mauvaise foi, une pincée d’autoritarisme, et nul besoin d’assaisonner de vision ni de nuances.

Les grands perdants de cette aventure s’avèrent ses nombreux adeptes – on a dû en refuser! – qui votent contre leurs intérêts, car dans le darwinisme social sous-entendu du libertarianisme du RLQ, ils ne se tiennent malheureusement pas en haut de l’échelle. Avec une telle droite au pouvoir, les syndiqués conserveront leurs droits protégés par des lois et des chartes, les universitaires et les plus éduqués auront toujours des conditions salariales avantageuses et des avantages sociaux qu’ils pourront s’offrir, et les pauvres recevront de l’aide si ce n’est que pour stabiliser l’ordre public. Les victimes seront les gagne-petit, dispensables, non syndiqués, sans avantages sociaux, anonymes et interchangeables: une bonne partie de la clientèle du RLQ. Car les disciples du profit ne s’intéressent pas à ceux qui ne peuvent pas leur en procurer: les agneaux.

Petit visionnement

Michael Sandel, professeur de Harvard et auteur de Justice, ouvrage dont j’ai parlé il y a quelque temps, est un pédagogue hors pair et son cours est l’un des plus courus de cette illustre université: 14 000 étudiants l’ont suivi. Nous sommes chanceux, car ce cours de philosophie politique est disponible tout à fait gratuitement sur Internet ici. Je le conseille à tous, mais plus particulièrement à mes amis du Réseau Liberté-Québec.

mardi 5 octobre 2010

32 questions brèves sur la religion

La semaine dernière, un sondage mené aux États-Unis par le Pew Forum on Religion and Public Life a montré que les croyants s’y connaissaient moins en religion que les athées. En moyenne, les sondés ont répondu correctement à 16 des 32 questions et les résultats se déclinent comme suit: les athées et les agnostiques ont eu 20,9, les Juifs, 20,5, les Mormons, 20,3, les Protestants, 16, et les Catholiques, 14,7. Les résultats ne doivent pas être très différents au Québec. Quant à moi, j’ai eu 27/32. J’ai des petites lacunes en Hindouisme et en Bouddhisme, et en histoire américaine. Les questions sont ici.

Pourquoi les athées ont-ils eu de meilleurs résultats que les croyants? Il semblerait que le niveau d’éducation des premiers ait été supérieur à celui des seconds, du moins dans l’échantillon. Ce qui ne veut pas dire que la connaissance rend athée! Ça signifie plutôt que l’éducation réduit l’ignorance.

Je suis athée et j’ai apostasié. L’expression «catholique non pratiquant» cachait trop d’hypocrisie à mon goût. Je ne crois pas en Dieu et n’ai pas besoin d’un préfet de discipline, qui verrait tout ce que nous faisons et qui nous ferait des reproches à la fin de nos jours, pour mener une vie bonne. De plus, il n’y a pas de preuve scientifique de l’existence de Dieu, car il se situe hors du champ de l’expérience. C’est pourquoi il y a la foi. Et le pari de Pascal, très peu pour moi: je ne suis pas gambler!

Néanmoins, la religion, que nous le veuillons ou non, fait partie de l’identité de chacun – il est impossible de comprendre l’individu sans connaître sa culture, donc ses récits mythiques, ses croyances et ses coutumes – et plusieurs ont besoin de croire pour être heureux. C’est pourquoi je suis partisan du cours Éthique et culture religieuse. Enfin, il y a des mauvais enseignants partout et la population n’a jamais remis en question les programmes de mathématiques ou de géographie. Pourquoi tant d’acharnement sur le cours ÉCR? Parce qu’il rend l’individu libre de suivre la voie qu’il souhaite, nonobstant les objections de fondamentalistes, religieux ou non, qui voudraient nous imposer leurs croyances.

Jésus philosophe?

Récemment, je me suis interrogé sur la distance entre le message original de Jésus et celui de l’Église. (Un remerciement spécial à Mgr Ouellet!) Il me semblait que plusieurs haut-parleurs de la doctrine officielle romaine trahissaient souvent l’enseignement du Christ qui, rappelons-nous, se résume dans une seule formule: «Aimez-vous les uns les autres».

Dans Le Christ philosophe (Paris, Seuil, 2009), Frédéric Lenoir revisite l’histoire du christianisme des origines à aujourd’hui et souligne la modernité du message du Christ qui prône l’égalité, la liberté individuelle, l’émancipation de la femme, la justice sociale et la séparation de l’Église et de l’État. Bref, des valeurs qui ont été occultées par Rome, qui a confondu les pouvoirs politiques et religieux, durant plus d’un millénaire. Ces valeurs ont refait surface à la Renaissance, en réaction aux abus du clergé. La modernité serait donc née en réaction contre l’Église en puisant sa source dans l’éthique de Jésus.

D’un côté plus spirituel, Jésus, selon Lenoir, favoriserait une pratique intérieure qui ne rendrait indispensable aucune médiation humaine, voire aucune institution, comme il le laisse entendre dans cette parabole du Jugement dernier:

Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux de droite: “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir.” Alors les justes lui répondront: “Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir?” Et le Roi leur fera cette réponse: “En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.”» (Matthieu 25:31-40)

En effet, l’essentiel est là! Et peu importe que je sois athée et apostat, je risque quand même d’aller au paradis!

Petites lectures
Charles P. Pierce, Idiot America. How Stupidity became a virtue in the land of the free, New York, Doubleday, 2009.
Markos Moulitsas, American Taliban. How War, Sex, Sin, and Power Bind Jihadists and the Radical Right, San Francisco, Polipoint Press, 2010.

Les Américains sont fascinants. D’une part, ils ont créé l’une des sociétés les plus avancées au monde. D’autre part, ils sont capables de tomber dans la bêtise la plus abyssale. Pierce, dans American Idiot, parle de la guerre à l’expertise qui sévit aux États-Unis, surtout pour des raisons économiques et politiques, et dont l’objectif est d’éliminer cette idée folle que la connaissance est bonne pour établir celle que nous ne devrions écouter que ceux qui en savent le moins. Car, n’oublions pas, les experts font partie de la diabolique élite! L’avis du pasteur d’une église obscure sur la théorie de l’évolution vaut amplement celle du docteur en biologie moléculaire! Pourquoi élire quelqu’un d’intelligent alors qu’on peu choisir celui avec qui on irait prendre une bière? Pourquoi le consensus de milliers de climatologues sur le réchauffement climatique aurait-il plus de poids que celui d’une dizaine de «scientifiques» qui confondent climat et météo et qui se consacrent à attaquer le messager plutôt qu’à trouver les failles dans la rigueur du message? Bref, trois principes animent cette Amérique des idiots:

  • toute théorie est valide si elle vend assez de livres ou dope les cotes d’écoute, bref si elle est rentable; 
  • est vraie toute chose qu’on a dite assez fort; 
  • et un fait est une chose qui est crue par suffisamment d’individus, la vérité étant déterminée par la ferveur des croyants. 
Si nous nous fions à ce que nous lisons ou écoutons au Québec, nous devons admettre que l’idiotie américaine est contagieuse.

Dans un même ordre d’idées, mais un registre plus baveux, Moulitsas trace des liens entre les valeurs de la droite américaine et celle des Talibans: le moralisme omniprésent, l’objectif d’établir d’une théocratie, le recours à la torture, le besoin de toujours déclarer la guerre à quelqu’un, la censure, la misogynie et la servitude de la femme, l’effritement des libertés, etc. C’est un peu charrié, mais franchement rigolo!

vendredi 6 août 2010

Ma soirée avec Jeff

Je n’ai jamais vraiment écouté Jeff Fillion. Certes, j’ai déjà attrapé quelques bribes de son émission, lorsqu’il sévissait à CHOI, dans un taxi, un ascenseur, une salle d’attente, voire même dans le bureau que je partageais avec l’une de ses fans. C’était un animateur populiste, qui disait à ses auditeurs ce qu’ils souhaitaient entendre tandis que, de leur côté, ils croyaient tirer la Vérité de sa bouche. Ça suivait la même logique que la saucisse fumée que plus de gens mangent… Le fait qu’il risque sa carrière, entre autres, afin de discourir sur le buste d’une animatrice de télé pratiquement inconnue qui l’avait déjà éconduit alors qu’ils étudiaient ensemble me laissait froid. Cela, et ses autres frasques, ne justifiait aucunement qu’on ferme un poste de radio. De toute façon, les tribunaux finiraient par se charger de Jeff.

Je le connaissais donc peu. Je le percevais comme un adepte du libertarianisme, cette idéologie politique de mononcle riche fondée sur la propriété qui prône la quasi-disparition de l’État pour ne laisser place qu’aux règles du marché et qui peut facilement se passer de démocratie. Exit la dignité humaine! Il était aussi groupie de l’Institut économique de Montréal, un organisme de charité (oui, oui; allez vérifier!) qui sert d’agence de marketing à la haute finance en prenant les traits d’un think tank dont l’objectif est de convaincre les gens que l’ordre des choses ne peut être modifié: les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent parce que c’est dans la Nature. Bref, Jeff serait un pirate de l’establishment plutôt naïf et soumis, un avaleur de couleuvres redoutable.

Sur Twitter, on retrouve parfois des débats assez animés, comme celui de jeudi dernier entre Jeff et Antoine Robitaille, journaliste au Devoir et l'un de mes anciens potes du Voir à Québec, à propos de la place et de l’efficacité de l’État québécois opposées à celles du privé, véritable deus ex machina. Je résume la fin du débat, il est en ligne si vous voulez le verbatim:

Antoine: La démocratie, contrairement au privé, permet à la population de choisir ses dirigeants.

Jeff: Mais les gens ont-ils vraiment un choix?

Antoine: Aux dernières élections municipales, les Québécois avaient le choix entre Labeaume et toi.

Et vlan, dans les gencives!

Tweet fight!

Jeff n’a pas répondu à la dernière réplique d’Antoine. Plus tard dans la soirée, Fillion y va d’un de ses gazouillis habituels qu’on croirait écrit par l’auteur de l’autobiographie de Sarah Palin, avec les mêmes clichés, la même paranoïa, la diabolisation de la gauche hautaine qui, en plus, n’accepte jamais d’avoir tort et la dénonciation du vil message des médias «mainstream» (sic). J’entre en jeu et lui dis qu’il s’est drôlement fait fermer le clapet par Antoine durant l’après-midi. Il me répond qu’il n’a pas le temps de voir tous les messages qu’on lui laisse sur Twitter. Je rétorque que c’est une bien faible défense qui ressemble davantage à l’aveu d’une défaite. (Franchement, il échangerait avec un journaliste du Devoir durant une partie de l’après-midi et quitterait avant la fin! Come on!) Il riposte: «Tu peux penser ce que tu veux..... penses tu que ca va changer quoi que se soit dans ma vie.... serieux ??? :-))» (sic).

Le temps est confus sur Twitter. Les messages partent et arrivent, se croisent, et la chronologie est dure à suivre. Je poursuis et lance à Jeff qu’il semble plus à l’aise à répéter des clichés à ses fidèles qu’à débattre, qu'il est au fond comme Platon avec ses yesmen qui suivent son enseignement et ne font qu’ânonner: «ô oui maître, vous avez raison maître». Entre-temps, il m’invite à le suivre à la radio, puis à débattre avec lui à son émission, en précisant la journée. Je lui réponds que mon travail exige que je demande la permission à mes patrons et que je ne refuse pas d’emblée. Puis, coup de théâtre: «Ok toi, tu sembles avoir un probleme. C'est triste de voir que twitter accumule les tetons.... on avait du fun avant !!!» (sic). Comme j’ai dit plus haut, le temps est flou sur Twitter: nos séquences d’événements ne sont peut-être pas les mêmes...


Néanmoins, que fis-je pour qu’il me désinvitât, me demandai-je? Je l’avais pourtant comparé à l’un des plus grands philosophes de l’Antiquité! Un gars de droite en plus!

Peu après, Jeff m’a fait parvenir un message direct, c’est-à-dire que personne d’autre sur Twitter ne pouvait voir, m'implorant, avec insulte, de me désabonner de lui. J'ai répliqué qu’il n’avait qu’à me bloquer…

Cette aventure m’a rendu tristounet. J’appréciais ce dialogue viril entre deux baveux. Mais cette invitation à son émission n'était-elle qu'un piège pour m’effrayer, me clore la trappe? Pourquoi cette volte-face? Je n’en veux pourtant pas au bonhomme, mais à son absence d’esprit critique, à son univers minuscule de démagogue où se dissout la raison, à son discours truffé de clichés de teabaggers. La vraie liberté, celle qui vient avec la culture et l’éducation, permet de s’affranchir des idéologies, de constater leurs forces et leur faiblesses, de choisir quelle voie suivre, d’être souverain.

Dommage. J’aurais aimé qu’il soit mon ami. Je l’aurais invité à souper. Je lui aurais fait un hot-chicken.

Petites lectures
Philippe van Parijs, Qu’est-ce qu’une société juste?, Paris, Seuil, 1991.
Jacques Généreux, Les vraies lois de l’économie, Paris, Seuil, 2005.

Deux titres pour Jeff afin qu’il les range à côté des ouvrages de Hayek, de Nozick, de Friedman, de Rothbard et de Rand qui doivent garnir les rayons de sa bibliothèque. Dans le premier, il devrait lire le chapitre «L’ambiguïté du libertarisme» qui conclut que le libertarianisme – comme on l’appelle ici – n’a finalement pas le choix de favoriser une redistribution des revenus. Puis le second sert à nourrir ses prochaines entrevues avec ses économeux favoris – s’il existe des nationaleux et des syndicaleux, il y a aussi des économistes intégristes et obtus que je néologise économeux –, adeptes de la version néolibérale de leur discipline qu’ils traitent comme une religion et dont les dogmes, selon Généreux, sont à bannir.

jeudi 29 juillet 2010

Car son bras sait porter la croix – The Armageddon Factor

En décembre 1866, alors qu’ils étaient à Londres afin de négocier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, John A. MacDonald et ses joyeux drilles cherchaient comment définir ce qui allait être l’une des plus grandes réalisations de l’humanité (selon Stéphane Dion): le Canada. Le premier ministre du Nouveau Brunswick, un charmant dévot, trouva la solution dans les Psaumes (72, verset 8): «He shall have dominion also from sea to sea and from the River to the ends of the earth». Ainsi, grâce à cette intervention divine, notre pays est un dominion et sa devise latine, A mari usque ad mare.

Aujourd’hui, à la veille de la fin du monde, différents organismes religieux canadiens, sous l’œil bienveillant de leurs contreparties américaines, contribuent à l’accomplissement du psaume – car, selon eux, notre dominion aura un rôle à jouer lors de la bataille d’Armageddon – et œuvrent à rechristianiser le Canada, avec l’objectif d’en faire une théocratie. C’est pourquoi ces nationalistes chrétiens, principalement par le biais du Parti conservateur, s’immiscent dans la sphère politique afin que les lois, les règlements et les programmes reflètent davantage leurs valeurs et que notre pays remplisse sa destinée.

Vigoureusement critiqué, surtout par les médias de droite, The Armageddon Factor (Toronto, Random House Canada, 2010), de la journaliste Marci McDonald, a néanmoins une grande qualité pour les lecteurs de l’autre solitude, c’est-à-dire jeter un éclairage sur la montée de la droite religieuse, des theocons, dans le ROC. L’impact de ces groupes et de ces églises, dont les nombreux et fréquents contacts avec les membres du gouvernement et les hauts fonctionnaires feraient saliver d’envie les journalistes qui couvrent la colline parlementaire, est bien visible: par exemple, le refus des conservateurs de financer le contrôle des naissances, les coupures de budget chez les organismes dont la mission s’éloigne des valeurs conservatrices, etc. De plus, avec des stars montantes telles que Stockwell Day (président du Conseil du Trésor), qui ne croit pas en évolution, et Jason Kenney (ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme), qui a enlevé le passage sur les droits des homosexuels dans le guide aux immigrants, il est clair que le Parti conservateur emprunte une tangente qui mène inévitablement vers un obscurantisme où la morale des uns s’impose et devient la loi de tous. Le Canada est sur la bonne voie pour connaître sa propre Grande Noirceur.

Petite lecture
Danic Parenteau et Ian Parenteau, Les idéologies politiques. Le clivage gauche-droite, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2008.

Nous nous posons tous la question: Richard Martineau est-il de droite ou de gauche? C’était une question piège: il sévit dans un univers parallèle dominé par la confusion, l’amalgame et l’hystérie. Mais nous, pauvres humains, de quel bord penchons-nous? Dans leur ouvrage, les frères Parenteau débroussaillent la notion d’idéologie politique et éclaircissent ses différentes variantes: le libéralisme au centre; le socialisme à gauche; le communisme et l’anarchisme à l’extrême gauche; le conservatisme et le libertarianisme à droite; le fascisme à l’extrême droite; et enfin le nationalisme et l’écologisme qui s’adaptent à toutes les teintes. L’ouvrage parfait pour expliquer à votre cousin teabagger que le président Obama ne peut pas être à la fois communiste et fasciste.

lundi 21 juin 2010

La sélection des juges

Contrairement à certains commentateurs, je ne suis pas très surpris de la décision du juge Gérard Dugré, nommé en 2009, dans la cause portée par le Loyola High School qui souhaite enseigner le cours d’Éthique et culture religieuse (ÉCR) dans une perspective religieuse. D’une part, nous avons un système scolaire à deux vitesses qui permet la confessionnalité des écoles privées. D’autre part, la Loi constitutionnelle de 1982 s’amorce comme suit: «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit». (En 1982, alors que Pierre Elliott Trudeau rédigeait la Charte canadienne des droits et libertés, des conservateurs évangélistes ont fait pression afin d’ajouter au texte cette référence à Dieu.) Même si l’article 2 de la constitution assure la liberté de conscience et de religion, il était pour moi évident que des opposants au cours ÉCR allait invoquer le préambule et, peut être, tomber sur un juge qui leur donnerait raison.

Le plus déconcertant dans la décision de Dugré, ce sont certains de ses commentaires sur le cours ÉCR qui démontrent, une fois de plus, à quel point les juges sont souvent mal formés pour la tâche qui leur incombe. Heureusement que, dans le cas du cours ÉCR, restent la cour d’appel et la cour suprême. Par contre, on y retrouvera encore des juges…

Dans son jugement, Dugré affirme que le programme de Loyola est comparable à celui du ministère de l’Éducation (MELS). Pourtant, alors que l’objectif du premier est de transmettre et de promouvoir la foi catholique, ceux du second sont «d'explorer, selon son âge, différentes manifestations du patrimoine religieux québécois présentes dans son environnement immédiat ou éloigné; de connaître des éléments d'autres traditions religieuses présentes au Québec; de s'épanouir dans une société où se côtoient plusieurs valeurs et croyances; de s'épanouir dans une société où se côtoient plusieurs valeurs et croyances».

De plus, le juge dit qu’on devrait permettre à l’école Loyola d’enseigner toutes les matières selon l’approche confessionnelle. Ainsi, il vient d’ouvrir la porte, par exemple, à l’enseignement du créationnisme dans les cours de biologie. Puis si une religion croit que les maths ont été créées par Satan, on s’en passera.

Enfin, il affirme que l’obligation imposée par le MELS d’enseigner l'ÉCR de façon laïque «revêt un caractère totalitaire qui équivaut à l’ordre donné à Galilée par l’Inquisition de renier la cosmologie de Copernic». L’inquisition ordonnait à Galilée de renier la science de la même manière que le juge Dugré permet à l’école Loyola de renier l’approche scientifique du cours ÉCR au nom de principes religieux.

Iriez-vous faire soigner vos dents chez un mécanicien? Vous faire coiffer chez un actuaire? Pourtant, dans cette cause, on a demandé à un juge spécialisé en fiscalité de se prononcer sur des questions de lois, certes, mais aussi d’enseignement, de religion et de philosophie politique. Et il s’est planté! Aujourd’hui, la connaissance du droit ne suffit plus pour devenir juge. La société s’avère complexe et exige que ceux qui rendent justice la décodent et la comprennent. Il est peut-être temps de libérer la justice des seules mains des avocats.

Petite lecture
Georges Leroux, Éthique et culture religieuse. Dialogue. Arguments pour un programme, Montréal, Fides, 2007.

Le débat sur le cours ÉCR étant loin d’être terminé, je vous invite à lire Leroux, l’un des instigateurs de cette formation. «La laïcité, écrit-il, signifie non pas refus du religieux ou de la conviction, mais accueil de la différence dans un monde de respect et de droit». L’école est le lieu privilégié pour que les élèves acquièrent cette culture religieuse, la capacité de comprendre les croyances et les symboles qui structurent le rapport au monde des autres, et développent leur rationalité éthique, leur aptitude à délibérer. Un parti-pris pour la connaissance et la pensée critique : on est loin de l’endoctrinement…

vendredi 18 juin 2010

Spécial fêtes des pères

Dans un registre plus intime…

Ayant plus d’affinités avec les idées qu’avec les images, je suis peu friand de poésie. Néanmoins, jadis, pour l’un de mes moult diplômes, j’ai dû commettre quelques poèmes, dont le suivant. Il a été pondu lors d’un cours de création littéraire dont l’objectif était de s’inspirer profondément de l’œuvre d’autres auteurs, c’est-à-dire comprendre la mécanique du genre et interpréter le texte avec une approche plutôt thématique et mythocritique. Dans ce cas-ci, le poème à émuler était Devant deux portraits de ma mère d’Émile Nelligan. J’ai écrit le mien, au titre pompeux de Diptyque paternel, environ six mois après le décès de mon père. Je ne l’ai pas retouché depuis sa création il y a presque vingt ans. Sa forme classique, un sonnet en alexandrins, fait qu’il y aurait des coins à arrondir, particulièrement au cinquième vers. Mais je le publie quand même tel quel afin de se rappeler qu’il n’y a rien de plus barbare qu’une mort trop précoce.

Diptyque paternel

À genoux près de lui, les yeux clos, je le vois:
Son rire confiant, sa voix chaude et sévère,
Ses deux immenses mains où j’avais mon repère;
Comme il était noble ce portrait d’autrefois.

Ce visage éclairé, ce phare flamboyant,
Le temps y a creusé ses rides sépulcrales.
Sa bouche s’est figée après un dernier râle
Peignant le trait ultime à ce tableau géant.

Encadré de chêne, de cuivre et de satin,
Rendu à la brune d’une nuit sans matin,
La fresque dérive sur un fleuve de larmes.

Devant cette icône qui ne respire plus,
Ce masque de cire, cette copie sans charmes,
Je me sens triste, seul et, sans guide, perdu.

18 février 1992

jeudi 10 juin 2010

Le développement moral de nos dirigeants

Comme ça, un code d’éthique va tout régler?

Déjà, j’ai de la misère avec l’expression «code d’éthique»: un oxymore. L’éthique est une aptitude, une technique, qui consiste à agir de façon juste ou bonne (selon votre goût) après une délibération, un examen des principes qui nous animent, des valeurs qui motivent cette action et des conséquences qui en découleront, tout en tenant compte du contexte. Jadis, on appelait ça la conscience. Donc, de ce point de vue, l’éthique s’avère tout le contraire d’un ensemble rigide de règles à suivre sous peine de sanction. D’ailleurs, en éthique, la seule punition est de continuer à vivre en paix avec ses décisions.

Comme ça, un code de déontologie (là, c’est mieux!) va tout régler?

Et si le problème était ailleurs? Après avoir observé attentivement la classe politique de n’importe quel niveau (municipal, provincial ou fédéral), nous devons nous rendre compte que nous avons élu plusieurs candidats éthiquement incompétents.

Le psychologue Lawrence Kolhberg a développé une théorie du développement moral. En gros, les individus, au long de leur vie, de l’enfance à l’âge adulte, passent par six stades correspondant à une réorganisation des structures du raisonnement, qui permettent de résoudre des dilemmes de plus en plus complexes. On évalue la compétence morale de l’individu non par le contenu, mais plutôt par le contenant, la forme du raisonnement. Ainsi l’on retrouve trois niveaux (préconventionnel, conventionnel et postconventionnel) qui regroupent chacun deux stades :



  1. stade de la punition et de l’obéissance;

  2. stade du projet instrumental individuel et de l’échange;

  3. stade des attentes interpersonnelles et mutuelles, des relations et de la conformité;

  4. stade du maintien de la conscience et du système social;

  5. stade du contrat social et des droits individuels;

  6. stade des principes universels.

L’évolution de chaque individu se traduit à la fois par une décentration, c’est-à-dire le passage d’un point de vue égocentrique à un autre plus général, et l’évolution de la structure des rapports entre les droits et les devoirs (réciprocité, équité, égalité).

Le problème, dans un monde dominé par l’économisme et où ses adeptes sont en pâmoison devant la rationalité bancale de l’«individualisme méthodologique» – le «fait», dérivé du principe d’utilité (rappelez-vous vos cours de philo), que, selon plusieurs économistes, chacun cherche à accroître son bien-être (peu importe ce que «bien-être» veuille dire) ou son compte de banque (on est sans doute plus près de la vérité…) –, c’est que nous finissons par élire une «élite» qui a plafonné au stades 1 et 2, stades de l’égocentrisme et l’individualisme qui, selon Kohlberg, sont réservés aux enfants et aux adolescents. Et qui se comportent comme tel.

De fait, une bonne partie de nos politiciens se révèle éthiquement incompétente, incapable de raisonner, de hiérarchiser ses valeurs avec l’objectif de servir le bien commun. D’où leur besoin d’un code avec des sanctions, qui seront sûrement minimes, afin surtout d’épater la galerie.

Les solutions? Retourner les nouveaux députés à l’école avant leurs mandats pour leur faire travailler le mental? Se garder une petite gène, aux prochaines élections, lors qu’on voudra voter pour des hommes ou des femmes d’affaires – nos chers «bâtisseurs» –, des anciens présidents de chambre de commerce, des économistes, des comptables, des gestionnaires ou des avocats? La faune habituelle, quoi! Peut-être s’attarder davantage à ceux qui ont des idées? Au moins mettre autant d’efforts à choisir nos représentants qu’à sortir quelqu’un du loft!

Comme ça, un code de déontologie va tout régler? Celui d’Enron avait 64 pages!

Petites lectures
Christian Arsperger et Philippe Van Parijs, Éthique économie et sociale, Paris, La Découverte (Repères, 300), 2003.
Will Kymlicka, Les théories de la justice. Une introduction, Paris, La Découverte (Poche, 159), 2003.
Michael J. Sandel, Justice, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2009.

Dans son Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Normand Baillargeon donne 31 stratégies pour entretenir une attitude critique par rapport aux médias, dont étudier la philosophie politique. Voici donc trois ouvrages faciles d’accès pour s’y initier. Le premier, franco-français, donne un survol rapide, en format Que sais-je?, de quatre théories : l’utilitarisme, le libertarisme (connu ici davantage sous l'appellation «libertarianisme»), le marxisme et l’égalitarisme libéral de John Rawls. Le deuxième, écrit par un philosophe canadien, a une approche plus près des préoccupations nord-américaines, analyse chaque théorie plus en profondeur et ajoute le communautarisme et le féminisme. Enfin, le troisième, malheureusement uniquement en anglais pour l’instant, s’avère le cours de philo politique de cégep idéal (clair, précis, avec des exemples concrets) et présente une vision plutôt communautarienne avec un retour à l’éthique des vertus d’Aristote.

mercredi 2 juin 2010

Au Seigneur tout honneur

J’ai fait mon cours secondaire au privé, là où l’on trouvait encore à l’époque une bonne proportion de prêtres autant comme enseignants que comme animateurs. Mes confrères et moi – l'école n’était pas mixte… – y avons rencontré quelques maîtres, de grands pédagogues érudits qui nous nourrissaient abondamment et nous encourageaient constamment à nous dépasser. Toutefois, il y avait aussi des tortionnaires en manque d’inquisition, des névrosés qui se faisaient réveiller chaque matin par saint Paul, des intégristes qui auraient fait mourir d’envie certains Talibans et, finalement, des vipères qui jouaient à touche-pipi avec leurs admirateurs de la pastorale et qui devaient se caresser lorsque nous confessions nos terribles péchés d’ados.

Bref, j’ai découvert que pour les hommes de Dieu, deux voies s’offrent à eux: soit celle de la sainteté, en propageant la parole d’amour du Christ, soit celle de la papauté, en protégeant l’institution. Le cardinal Ouellet a emprunté la seconde voie.

(D’ailleurs, vous souvenez-vous comment se nommait le personnage du diable, interprété par Yves Jacques, dans Jésus de Montréal? Richard Cardinal!)

Dieu doit parfois trouver avec tristesse que son destin rappelle celui de Pierre Péladeau: créer une entreprise de rien et la voir tant malmenée par ses héritiers…

N’empêche que dans son Ancien Testament, Dieu, Qui n’avait pas lu le serment original de Son contemporain Hippocrate, qui interdisait l’utilisation de pessaires (médicaments qu’on insère dans le vagin) abortifs, ne S’intéresse pas vraiment à l’avortement. Il ne le condamne dans aucun passage.

La Bible affirme vie commence quand Dieu insuffle la vie dans les narines d’Adam (Genèse 2, 7). Ce qui semble exclure tout de go l’embryon ou le fœtus de la définition d’être vivant parce qu’il prend son air du cordon ombilical. Puis, une fois les dix commandements révélés à Moïse, on s’attarde davantage sur la différence entre tuer un individu et enfant non né, car même si celui qui frappe un homme à mort doit être mis à mort (Exode 21, 12), on ne dit rien s’il frappe une femme et tue son enfant:
Lorsque des hommes se battent, et qu'ils heurtent une femme enceinte, s'ils la font accoucher, sans autre accident, le coupable sera passible d'une amende que lui imposera le mari de la femme, et qu'il paiera selon la décision des juges. Mais s'il y a un accident, tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure (Exode 21, 21-25).

Pas de «fœtus pour fœtus»... En revanche, si la femme conçoit un enfant hors des liens sacrés du mariage, on la brûle ou on la lapide, et ce, contrairement à nos amis du sud qui ont la décence de ne pas exécuter une femme enceinte (Deutéronome 22, 21; Lévitique 21, 9; Genèse 38, 24).

Quant à Jésus, dans les Évangiles, ne condamne jamais l’avortement.

De plus, la perspective de l’Église catholique sur l’avortement a évolué depuis 2 000 ans. Entre autres, pour Augustin, l’avortement est péché parce qu’il va contre la seule et unique raison d’avoir des relations sexuelles: faire un bébé. Quant à Thomas d’Aquin, il disait que Dieu donnait une âme au garçon après 40 jours de gestation, et à la fille après 80 jours. Par conséquent, la punition se déclinait selon la présence de l’âme: la sentence était plus sévère si on avortait un garçon à 40 jours qu’une fille à 60.

Plus tard, au XIXe siècle, alors que les sciences exactes et la médecine amorcent leur essor, et que Pie IX invente l’infaillibilité du Pape, la vie devient sacrée dès la conception et il n’y a plus que deux exceptions à l’interdiction de l’avortement : une grossesse ectopique ou un cancer utérin, où l’on pratique l’ablation de l’utérus et du fœtus en même temps.

Bref, on a beaucoup débattu sur l’avortement, mais sans vraiment tenir compte des principales intéressées, comme si tous avaient un avis éclairé sur le sujet. On a qu’à constater les propos récents de Mgr Ouellet sur l’avortement, les filles de 16 ans et le manque de soutien offert aux femmes pour se rendre compte de son ignorance sur le sujet: celle d’un clerc qui n’a que peu de contacts avec la réalité de ses ouailles et celle d’un homme qui n’aura jamais à prendre la décision de rendre un enfant à terme, ou non. Certes le débat sur l’avortement est loin d’être clos, mais les mères doivent se l’approprier, car il leur appartient.

Petite lecture
Saul Friedländer, Pie XII et le IIIe Reich, Paris, Seuil, 2010.

À la veille de sa béatification, qui se fera, heureusement, une fois l’ouverture des archives de son pontificat, il convient de revenir sur les relations du pape Pie XII et des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Friedländer, qui laisse parler ses sources, pour la plupart allemandes parce qu’il n’a eu que peu accès à celles du Vatican, met en évidence les intérêts communs de l’Église catholique et du régime nazi dans leur lutte contre le bolchevisme. En fait, malgré qu’il sache dès 1942 ce qui arrivait aux Juifs, Pie XII croyait que l’Allemagne victorieuse serait le meilleur rempart contre la montée du communisme. Est-ce que cela en fait un saint?

jeudi 20 mai 2010

Des barbares arrogants

Le brave et sa douce gravirent vers un champ de bataille éphémère. Sur des tréteaux, des tribuns et des récitants s’échangeaient harangues et rimettes, complaintes et compliments, oraisons et cantiques qui, chacun à sa façon, définissaient la contrée.

Couché sur la pelouse humide de cette froide soirée d’été, retenu au sol par les efforts conjoints de la gravité d’une quelconque herbe malicieuse, il entendit un passage des Oranges sont vertes de Claude Gauvreau: «La censure, c’est la barbarie arrogante».

Le brave s’écria aussitôt: «Barbares arrogants! Hostie que ça ferait un bon nom de blogue!»

Presque un an plus tard, le voici. Et la censure dénoncée devient celle de l’esprit, car nous vivons à une époque où les idées sont bannies.

Cette absence de résistance laisse libre cours aux barbares de toutes sortes qui gagnent en confiance jusqu’à en devenir arrogants.

Les causes de cette barbarie arrogante sont nombreuses. Néanmoins, d’entrée de jeu, j’en souligne une, très importante: l’économisme, cette religion à la mode qui tente d’expliquer l’existence humaine par les mêmes lois que le commerce de la gomme balloune, qui transforme les liens entre les individus en rapports marchands et qui, au nom d’une rationalité bancale, fait table rase des valeurs pour ne laisser que l’utilité, voire la rentabilité. Les clercs de cet intégrisme et leurs nombreuses ouailles, qui les suivent pour la plupart sans même comprendre ni leurs idées, ni leur motivation, occupent beaucoup d’espace dans notre univers. Trop. Je les aurai à l’œil…

Petites lectures
Harry G. Frankfurt, On Bullshit, Princeton University Press, 2005. (De l’art de dire des conneries, 10/18, 2006.)
Normand Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Lux, 2005.

Le titre français du premier ouvrage est mal choisi, car il y a plus que dire des conneries dans le fait de bullshiter. Il y a aussi, et surtout, les croire! Petite lecture rapide et éclairante à l’ère de l’opinion. Quant au second ouvrage, il devrait être obligatoire pour tout élève qui termine son secondaire. Cette initiation à la pensée critique traite, entre autres, des paralogismes et autres subterfuges, tels que la manipulation statistique et la pseudoscience, utilisés afin de gagner l’adhésion du citoyen moyen. Une ode à la rigueur…