mercredi 27 octobre 2010

La liberté totale pour les loups est la mort des agneaux

Both liberty and equality are among the primary goals pursued by human beings throughout many centuries; but total liberty for wolves is death to the lambs, total liberty of the powerful, the gifted, is not compatible with the rights to a decent existence of the weak and the less gifted.
Isaiah Berlin, The Crooked Timber of Humanity. Chapters in the History of Ideas, Princeton, Princeton University Press, p. 12.

Samedi dernier, à une demi-heure du centre-ville de Québec, eut lieu l’événement le plus important de l’histoire de la province, voire de l’humanité. Non, il ne s’agit pas de la naissance des jumeaux de Céline, Mutt et Jeff Dion-Angelil, mais bien du rassemblement de ce nouveau mouvement d’extrême droite – sinon, comment expliquer cette perle de leur chef honoraire, Jeff Fillion: «Je ne me considère pas comme un lucide, loin de là. Pour moi, les lucides, c'est le même système, c'est la même valorisation de l'État providence. [...] Le manque de culture au niveau gauche-droite [sic] est évident quand on pense que Joseph Facal et François Legault sont de droite»; bref, si, dans son univers, tout le monde est à sa gauche, c’est qu’il est d’extrême droite, c’est logique et géométrique! –, le Réseau Liberté-Québec (RLQ). Pour ceux comme Jeff qui éprouvent de la difficulté à différencier leur droite de leur gauche, voici deux suggestions de lectures ici et ici.

Environ 450 personnes, surtout des mâles en colère, des ex-ixes ou des adéquistes meurtris – en traitant de l’échec de l’autonomisme, Maxime Bernier avait bien ciblé son public –, ont écouté les allocutions de rhéteurs soit provocants, soit étonnants ou encore complètement stupides. Ezra Levant, futur Glenn Beck de Fox News North, trouve les sables bitumineux plus éthiques que le pétrole des musulmans. Gérard Deltell, un historien, salue la richesse, tout en oubliant qu’elle s’est souvent accumulée au dépens de travailleurs mal ou non payés (par exemple, les Américains et l’esclavage) et qu’elle se transmet généralement de génération en génération – selon Fortune, 75% des fortunes s’acquièrent par héritage et non par la sueur de son front –, et décrie les syndicats qui, par leurs revendications, ont fortement contribué à l’éclosion de la classe moyenne. Puis Jacques Brassard, un climato-sceptique, qui démontre sa belle ignorance et fera l’objet d’un prochain billet. Somme toute, la célébration des «40 années d’égarement de l’État québécois» par ces jeunesses libertariennes – la moyenne d’âge était dans la trentaine – contenait tous les ingrédients pour une merveilleuse bouillabaisse droitiste narcissique: dans un chaudron en amnésie (volontaire?) et en soumission à un ordre économique transcendant, on mélange une part d’éloge de la richesse, un quart de pensée magique, une tasse de jalousie des syndiqués, une bolée de colère noire, une généreuse portion d’ignorance saupoudrée de mauvaise foi, une pincée d’autoritarisme, et nul besoin d’assaisonner de vision ni de nuances.

Les grands perdants de cette aventure s’avèrent ses nombreux adeptes – on a dû en refuser! – qui votent contre leurs intérêts, car dans le darwinisme social sous-entendu du libertarianisme du RLQ, ils ne se tiennent malheureusement pas en haut de l’échelle. Avec une telle droite au pouvoir, les syndiqués conserveront leurs droits protégés par des lois et des chartes, les universitaires et les plus éduqués auront toujours des conditions salariales avantageuses et des avantages sociaux qu’ils pourront s’offrir, et les pauvres recevront de l’aide si ce n’est que pour stabiliser l’ordre public. Les victimes seront les gagne-petit, dispensables, non syndiqués, sans avantages sociaux, anonymes et interchangeables: une bonne partie de la clientèle du RLQ. Car les disciples du profit ne s’intéressent pas à ceux qui ne peuvent pas leur en procurer: les agneaux.

Petit visionnement

Michael Sandel, professeur de Harvard et auteur de Justice, ouvrage dont j’ai parlé il y a quelque temps, est un pédagogue hors pair et son cours est l’un des plus courus de cette illustre université: 14 000 étudiants l’ont suivi. Nous sommes chanceux, car ce cours de philosophie politique est disponible tout à fait gratuitement sur Internet ici. Je le conseille à tous, mais plus particulièrement à mes amis du Réseau Liberté-Québec.

2 commentaires:

  1. "Les grands perdants de cette aventure s’avèrent ses nombreux adeptes – on a dû en refuser! – qui votent contre leurs intérêts, car dans le darwinisme social sous-entendu du libertarianisme du RLQ, ils ne se tiennent malheureusement pas en haut de l’échelle."

    Wow. Rien d'autre à ajouter.

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  2. Cette histoire de gauche et de droite ressemble à une obsession théorique. On parle ici d'un peuple de moutons politiques qui marchent sur des sentiers archi-rabattus et déboisés. D'une génération de BB obsédés par leur confort personnel qui feront payer une gestion déficiente par leurs enfants en se faisant croire qu'ils ont été des révolutionnaires. Tiens, ça me fait penser à la parole d'un socialiste qui me disait : "un prolétaire n'est pas censé connaître le mot 'prolétaire'".
    Merci de la plogue à propos de Michael Sandel.

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